Entretien avec Pauline Bayle, metteure en scène d’Iliade

Iliade, adaptation au plateau de l’épopée d’Homère, joue au Théâtre de Belleville jusqu’au 7 février 2016. Ce spectacle revisite le texte antique en le débarrassant des clichés gravitant autour de lui – images d’Epinal tirées de l’univers péplum, clichés de genre – et fait entendre toute sa force et son universalité.  Pauline Bayle, auteure et metteure en scène, nous parle de ses partis-pris de réécriture.

Pauline Bayle (c) Béatrice Cruveiller

Quel a été ton parcours ?

Après cinq ans d’études à Sciences-Po Paris, je suis passée par l’ESAD (École supérieure d’art dramatique) pendant un an avant d’entrer au CNSAD (Conservatoire national supérieur d’art dramatique) en 2010. En 2011, j’ai créé une compagnie avec laquelle j’ai créé deux premiers spectacles à partir de textes que j’avais écrits : À Tire-d’Aile et À l’Ouest des Terres sauvages. Iliade est le troisième projet avec cette même compagnie.

Toi qui écris tes pièces, pourquoi avoir choisi de réécrire un texte ?

C’est d’abord un élan vers L’Iliade d’Homère, un livre que j’adore depuis l’adolescence. Il y a quelques années, je m’étais étonnée de n’avoir jamais vu ou entendu parler d’une adaptation de ce texte majeur sur un plateau de théâtre et j’avais alors rêvé de me lancer dans l’aventure. Il y a un an et demi, après avoir écrit les textes de mes deux premiers spectacles, j’ai eu envie de travailler différemment autour de l’écriture. J’ai alors repensé à L’Iliade et je me suis lancée.

Quels ont été tes partis-pris de réécriture ?

Si on va à l’essentiel, L’Iliade raconte la trajectoire d’Achille et le mouvement qui partira de sa colère et viendra se terminer sur sa compassion. Je me suis donc centrée sur ce parcours d’Achille ainsi que sur celui d’Hector, son pendant Troyen. Pour moi, ces deux personnages sont autant ennemis que frères dans le sens où ils ont sans cesse besoin l’un de l’autre pour accomplir leur destin.

Je souhaitais également rendre compte, grâce aux différents langages et conventions qu’il existe dans le théâtre, de la multiplicité de tons et de registres que renferme L’Iliade. Dans le texte original s’entremêlent récits prosaïques et sanglants de combat, dialogues déchirants et tragiques entres humains et des scènes plus vaudevillesques entre les dieux, comme ce moment où Héra décide de faire l’amour à Zeus pour détourner son attention de la Guerre de Troie. Dès le début de l’écriture j’ai voulu restituer ce très grand éclectisme dans mon texte et jouer avec les conventions théâtrales pour le mettre en valeur.

Y a-t-il des thématiques, présentes dans le texte d’Homère, que tu as souhaité mettre en exergue ?

L’héroïsme et le courage. Le courage politique, guerrier, celui qu’il faut pour s’accomplir soi-même. Ce que je trouve passionnant dans l’Iliade, c’est que ce n’est jamais manichéen. Il n’y a pas d’un côté les forts et de l’autre, les faibles. Achille, Hector, Ajax le grand, Diomède, tous ces personnages héroïques auront peur à un moment ou un autre de l’épopée. Peur de perdre la guerre, de voir mourir un ami ou de périr sur le champ de bataille. Et tous traverseront alors cette peur pour aller voir ce qu’il y a derrière et ainsi se dépasser. Le héros n’ignore pas la peur, il l’éprouve. C’est ça qui m’intéresse. On sort du schéma : Courageux contre Lâches. Bons contre Méchants. Civilisés contre Barbares. L’Iliade d’Homère propose une vision du monde bien plus complexe et par conséquent bien plus réel. Pour moi, c’est cela qui rend cette épopée unique et lui donne sa valeur universelle et fondatrice.

Tu évoques un parallèle entre la démarche du héros guerrier et la démarche de l’acteur, tous deux héroïques dans leur volonté de dépasser leurs limites. Peux-tu en parler plus amplement ?

Lorsqu’un héros grec se bat, il peut vivre un moment de lâcher-prise au cours duquel il se dépasse et transcende sa condition d’être humain. On appelle ce moment « aristie » et c’est par cette sorte d’épreuve du feu qu’il accomplit son destin. Or, je crois que le processus de l’acteur demande un très grand lâcher prise au présent. Un saut dans le vide qui exige d’accepter de ne pas savoir ce qui va se passer pour être pleinement présent dans l’instant, ici et maintenant. C’est ça qui fait la richesse du théâtre : s’abandonner chaque soir dans un temps partagé avec le public.

Ta scénographie, faite de papier kraft, de projections de peinture, de paillettes, relève de l’esquisse et de l’éphémère : quelles sont tes influences ?

Comme beaucoup de jeunes acteurs de ma génération, j’ai été très marquée par les spectacles de Peter Brook, Wajdi Mouawad et Ariane Mnouchkine. Concernant l’économie de moyens, c’est quelque chose que je revendique. Je crois profondément en la puissance de l’imaginaire et que l’on peut raconter beaucoup de choses avec très peu d’outils. À l’inverse, je crois que redoubler d’effets et de moyens emprisonne trop l’esprit du spectateur et limite la représentation qu’il pourrait se faire du récit. Pour le dire d’une manière un peu triviale, je crois que moins tu en as, plus tu vois. Pendant les répétitions, on a réfléchi aux moments qui nous semblaient les plus importants dans l’histoire et la dramaturgie et sur lesquels on voulait donner comme un coup de projecteur. Et dernière chose, très tôt pendant le travail, j’ai voulu utiliser des matériaux consommables (papier, paillettes…). En effet, je crois qu’utiliser des objets qui s’altèrent en direct rend plus concret le présent partagé entre ceux qui jouent et ceux qui regardent. Tout à coup, leur caractère éphémère permet d’incarner concrètement le temps.

Les comédiens changent plusieurs fois de personnage, sans jamais réellement changer de costume, et jouent indifféremment des hommes, des femmes, des personnages jeunes comme des personnages plus âgés. Pourquoi ce parti-pris ?

J’ai la sensation que le théâtre peut jouer un rôle dans le questionnement de constructions culturelles comme la notion de virilité ou de féminité. Dans le fond, qu’est-ce que ça veut dire être virile ? Est-ce que ça veut dire être fort, courageux ? Et est-ce que la féminité, cela implique être doux et adorable ? Je pense que c’est la culture qui a assigné aux genres leurs rôles dans la société et je refuse fermement le fondement biologique de ces caractéristiques. Or, ce qui est génial avec le théâtre, c’est que cela permet de mettre en pratique cette conviction. Rien n’est théorique au théâtre, tout est concret, sensible. En faisant jouer un rôle d’homme par une femme, on peut concrètement voir qu’une femme peut avoir en elle de la rage, de la colère et qu’elle a les épaules pour mener une armée. À l’inverse, on est témoin de la douceur et de la compassion dont peut témoigner un homme à l’égard de quelqu’un d’autre. Finalement, j’attends du théâtre qu’ils viennent questionner et faire évoluer des conceptions toutes faites afin de se familiariser avec une nouvelle vision du monde, neuve et surprenante. Par ailleurs, nous avons travaillé autour de l’imagerie qui présente les héros comme des grands garçons très beaux, très grands et très musclés. C’était important pour moi de dépoussiérer le regard qu’on porte sur L’Iliade de son côté « péplum » antique fait de toges, de glaives et autres javelots.

Tu as rencontré les comédiens de ta compagnie à l’école, et les liens qui vous unissent sont clairement des liens d’amitié. Qu’est-ce que cela change dans ton approche du travail ?

Je ne demande pas à mes comédiens de travailler avec moi parce qu’ils sont mes amis. En revanche je propose à des gens que je connais et en qui je crois. Pendant les répétitions, je leur demande beaucoup d’engagement, de réflexion et d’implication. J’ai donc besoin d’un groupe qui soit solide, bienveillant et exigeant. Ce qui a été le cas avec cette équipe. J’ai une grande confiance en eux, individuellement et collectivement.

Propos recueillis le 18 décembre 2015 par Emily Jokiel

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